Faire le point
Il y a des jours où l'on ne sait plus comment reprendre le fil de la discussion, comment reprendre du temps pour vous parler de notre Martin et de la vie chaotique qui règne ici.
Il y a un an et demi, un diagnostic d'hyperactivité pas franchement satisfaisant était posé pour notre petit bonhomme. Le pédopsy voulait donner un médicament costaud et projetait le futur de Martin dans son aile de l'hopital de jour. Après trois rendez-vous destructeurs pour nous tous, Mister des friches a pu être présent et nous avons pu dire à ce gentil personnage que non nous n'en ferions rien et que nous ne voulions plus qu'il s'occupe de notre fils.
Cela faisait plusieurs années que nous nous inquiétions beaucoup pour Martin et qu'un certain climat culpabilisateur régnait : moi pas assez présente car trop présente pour Paul etc. je vous épargne la longue variation de ce genre de discours, rien que de l'écrire j'en ai la chair de poule. Depuis tous les professionnels de santé rencontrés ou presque ont eu ce discours culpabilisateur et la cause de tous les problèmes de Martin semblait être moi et accessoirement son père patati patata.
Une horreur qui détruit de l'intérieur, qui fait perdre confiance en soi, qui fait s'écrouler toutes nos défenses. Un nouveau diagnostic a été posé fin juin par un autre pédopsy (après une folle bataille pour obtenir un dossier de la maison des personnes handicapées MDPH), ce diagnostic est Troubles Envahissants du Développement. Rien ne change, toujours thérapie de groupe et thérapie individuelle, l'orthophoniste qui suit Martin depuis trois ans m'avertit qu'il faut reprendre les séances hebdomadaires. Un autre professionnel, mais de l'éducation nationale, me dit que le problème est que notre fils est beaucoup trop entouré, par trop de médecins, il occulte tous les symptômes, remet tout en cause toujours et accessoirement me dit que j'en fais beaucoup trop. Je passe mon mois de juin à m'écrouler dans les cabinets face à toutes ces personnes si peu à l'écoute de notre fils (peu lui parlent mais savent tout de lui quand même) et si peu à notre écoute. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai pleuré d'épuisement dans la salle d'attente et où psychologues, pédopsy, infirmières passaient près de moi sans me parler (seule une jeune ado avec plein de soucis est venue me toucher le bras et me sourire). Autour de nous, les gens refusent, minimisent les problèmes.
Et un jour, après quatre ans d'angoisses, une phrase, une bouée de sauvetage, "cest une maladie neuro-biologique, il n'y a rien de psy là-dedans !". Cette phrase change tout, elle nous redonne le droit de nous redresser, de ne pas laisser prise aux gens culpabilisateurs, elle nous redonne le droit de fouiller, de nous renseigner, de nous réveiller. Celui qui l'a prononcé est fort discret, je ne voudrais pas le mettre mal à l'aise en le nommant ici, mais notre reconnaissance lui est éternelle !
Au quotidien, les choses n'ont pas changé, pas encore, mais nous fouillons, nous réalisons qu'il n'y a qu'en France que les enfants atteints de ces troubles sont traités ainsi. Le reste du monde considère ces maladies comme biologiques et non le résultat d'une psychose causée par la mère bien sûr...
Les enfants TED sont caractérisés par "un déficit dans les interactions sociales réciproques : au cœur du contact avec les gens ou les choses, l’absence ou l’étrangeté des réactions étonne.
Un second trait fondamental réside d’autre part dans le développement inhabituel de la communication verbale et non verbale ainsi que de l’imagination. Parce que les enfants atteints d’un TED voient les différentes composantes d’un ensemble, sans pour autant réussir à établir des liens entre elles, ils conçoivent le monde d’une façon toute personnelle. Cette incapacité à généraliser et à comprendre les abstractions affecte grandement leurs facultés de communication; cela explique aussi leur air de détachement.
D’autre part, un troisième symptôme classique du handicap, les activités répétitives et la résistance au changement, s’explique sans doute aussi par les problèmes de perception. En effet, l’insécurité et l’anxiété pouvant découler de ces difficultés cognitives les pousse probablement à adopter un schéma d’activités limitées qui leur paraît rassurant.
À priori, entre deux enfants atteints d’un TED, les comportements peuvent différer à un point tel qu'ils semblent s’opposer carrément; la définition du handicap ne s’en trouve pas facilitée. À titre d’exemple, certains enfants parlent beaucoup, d’autres, pas du tout."
En fait, les TED regroupe cinq maladies dont l'autisme. Quand nous prononçons le mot d'autisme, tous réagissent. Aujourd'hui, nous cherchons des interlocuteurs compétents et ouverts pour agir ! Le psychologue qui suit Martin n'est pas ravi de nos lectures canadiennes et québécoises, de nos interrogations, mais ce que nous lisons nous libèrent et résonnent tellement en nous ! Un dossier est déposé auprès de la MDPH depuis 4 mois pour obtenir une Auxiliaire de Vie Scolaire, ce matin au téléphone la secrétaire me disait qu'ils traitent les dossiers du mois d'avril !
Heureusement l'instit de Martin nous suit, nous soutient, les instits parlent entre eux, ont vu aussi la souffrance de Mathilde devant les réactions des autres face à son frère bizarre. Ils nous ont demandé l'autorisation de parler à tous les élèves, et Mathilde se sent un peu mieux, moins responsable. Les enfants aussi ont des questions, sauf Louise qui soutient infailliblement son frère du haut de ses deux ans. Au cours d'un rdv où la première question était sur le déroulement de ma grossesse et de l'accouchement, Louise s'est exclamée " il est bien mon frère", brave petite soeur qui sentait la laideur des sous-entendus, notre désarroi. Je ne jette pas les psys au feu, ni aux orties, ils font sûrement un travail formidable avec des gens qui ont besoin d'eux, mais cela ne semble pas être notre cas.
Sur le site de Autistes sans frontières , il est possible de visualiser un film qui se nomme Le mur, où la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme. Dérangeant, scotchant et révélateur de ce que nous pouvons rencontrer ! Nous ne prétendons pas que Martin soit autiste mais cette maladie est le fer de lance des TED.
Notre bonhomme est toujours le même : enjoué quand on peut jouer à cache-cache dehors, lire encore et toujours, parler de pelleteuses, de rayures, de baleines ou de batteries, faire des câlins parfois. Il a vécu un moment si fort il y a 15 jours lors d'une soirée organisée par une formidable association locale de solidarité internationale, un groupe jouait et les musiciens étaient très étonnés de la concentration de Martin pendant tout le concert ! Le batteur lui a offert ses baguettes, Martin ne pouvait pas les prendre, pas le regarder, ni lui répondre tant l'émotion était forte, il s'est caché, j'ai récupéré les baguettes, parlé un peu avec le batteur très déçu et Martin vit avec elles depuis. Nous les entendons parfois dès 5 heures du matin quand il se met en mouvement ...
Une chose a changé depuis toutes nos lectures, notre regard : quand Martin ne fait pas certaines choses si évidentes c'est qu'il ne sait pas, ne peut pas et ce n'est pas la résultante de règles mal posées, d'une mauvaise éducation. Quand il parle à voie haute (jamais au bon moment ..) ou pousse des cris dans un silence assourdissant, ce n'est pas pour enquiquiner la terre entière, même quand il réveille toute la famille à 5 ou 6 heures.
Notre patience a augmenté, notre compréhension aussi j'espère. Nous sommes au début d'une longue route, nous prendrons sûrement des chemins de traverse, des impasses, des ronds-points mais nous avançons debout, ensemble. Nous savons que vous nous soutenez, comme vous le pouvez, parfois maladroitement, mais nous vous savons là ! Une chance pour notre famille.
Le plus dur est l'incompréhension, le jugement, la minimisation, j'entends les phrases comme "quand on est pas capable d'élever ses enfants, on en a pas autant!", heureusement pour la dame en question, j'étais occupée à maintenir Martin sinon elle prenait une avoinée ! Voilà aussi pourquoi avoir un diagnostic est important pour nous, pour faire face à l'incompréhension au quotidien, pour répondre à ceux qui nous considèrent comme de piètres éducateurs et se permettent de nous le dire en paroles ou en regards.
Martin est une chance pour notre famille, nous cherchons ensemble comment nous aider les uns les autres, parents vers enfants, enfants entre eux, enfants envers les parents, certains ont beaucoup de mal à exprimer leur angoisse, à nous de les aider, nous prions les uns pour les autres. Cet espace de parole, d'attention c'est Martin qui l'a ouvert. Nous avons aussi eu la chance de nous bagarrer avec Paul (et cela continue!) pour ses pieds, nous savons que nous avons en nous des ressources, que nous trouverons des appuis, des personnes-ressources. Nous avons la chance de connaître et d'aimer Bridou, de voir la force de ses parents et de puiser dans leur amitié !
Allez belle journée à tous, haut les coeurs !
Si notre message vous a mis le moral dans les choux, choisissez votre musique préfére, mettez la et dansez ... ou allez vous baigner !